Nous abordons ici une pratique à la marge dans les séjours d’Un Œil sur la Nature, mais qui n’est pourtant pas sans quelques points communs avec la photo animalière…
Le premier d’entre eux est bien sûr de mettre de la vie dans nos photos, avec toutes les exigences et les impondérables que cela entraîne : quête, anticipation, patience, imprévu, réactivité, maîtrise technique, choix de l’instant et expression du sujet…autant de notions qui feront écho à plus d’un photographe de nature !

Le défi consiste ici à mettre de l’humain dans nos photos, exercice auquel les photographes de nature se livrent rarement… mais vous découvrirez qu’il peut être tout aussi riche et excitant que la photo nature !

Avec Un Œil sur la Nature, pas de photographie urbaine, mais une découverte animée des villages pittoresques des Cinque Terre, ou de Toscane. Pour en profiter au mieux nous privilégions les périodes comme l’automne, et les heures calmes pour éviter la foule : alors habitants du lieu comme touristes de passage deviennent les héros des histoires que vous raconterez !

La rue comme un théâtre vivant

Comme toujours, tout est affaire de regard et d’imagination ! Abordons la rue comme un formidable théâtre vivant au décor changeant de ruelle en ruelle : avec un peu d’attention, vous y découvrirez une multitude de scènes du quotidien, où se déroulent discussions, jeux, passages …

Choisissez une scène, attendez les acteurs
Difficile d’avoir une bonne composition « à la volée » sans anticipation d’un cadrage intéressant. Repérez les lieux de passage intéressants : une ruelle animée, un escalier, un porche…

Corniglia, Cinque Terre

Préparez votre cadrage : une focale large est intéressante pour intégrer des éléments d’architecture tout en dynamisant votre composition. Ensuite, observez les passants, imaginez le meilleur moment pour les placer dans votre cadre et attendez … Cela permet d’anticiper les moments décisifs sans courir après les sujets.

Tournez autour du sujet !
Prenez le temps d’observer les détails de l’architecture, couleurs et éléments graphiques, déplacez-vous pour exploiter les diverses possibilités de lignes directrices qui donneront de la dynamique ou de la structure à votre image. Vous remarquerez qu’il y a bien souvent plusieurs cadrages intéressants à exploiter pour mettre en scène votre sujet !

Levanto, Cinque Terre

Valorisez l’architecture
Le charme coloré des villages des Cinque Terre, comme les merveilles de l’architecture renaissance de Toscane rendent ces lieux uniques. Vos photos doivent porter la signature de ces lieux, sans rentrer dans des photos d’architecture banales !
Cherchez des cadrages originaux, jouez avec les reflets. Un objectif très grand angle (type 16mm) utilisé à ras du sol vous donnera parfois des cadrages surprenants !
Cadrez large pour pouvoir redresser un peu les perspectives en post production. Et surtout, attendez les passants intéressants et placez-les dans votre cadre : c’est l’humain votre véritable sujet, l’architecture est le décor.

Levanto (Cinque Terre), Sienne (Toscane)

Vive le contraste !
Les lumières fortes – celles qu’on fuit trop souvent en photo de nature ! – sont particulièrement favorables à la photo de rue : elles créent de puissants contrastes entre des zones inondées de lumière et des ombres denses. Les forts contrastes sont alors particulièrement efficaces pour créer des photos graphiques.

Cherchez toutes les situations avec un fort contraste : arches, porches, ruelle sombre… les possibilités sont multiples. N’hésitez pas à sous-exposer franchement à la prise de vue pour valoriser les forts contrastes qui vous permettront d’isoler votre sujet.

Corniglia, Cinque Terre

Pensez à la couleur !
Vous n’aurez pas de mal à intégrer beaucoup de couleurs dans vos images dans les Cinque Terre comme en Toscane ! Quand vous le pouvez, pensez à réduire le nombre de couleurs pour simplifier vos photos, et à valoriser des complémentarités ou contrastes de couleurs entre votre sujet et l’environnement.

Levanto, Cinque Terre

Osez le noir et blanc !
Beaucoup de contraste, beaucoup de couleurs… donc un fort potentiel pour le noir et blanc !
Cela peut paraître contre-intuitif quand on pense aux Cinque Terre ou aux villes de Toscane, mais il est tout aussi intéressant d’y photographier en noir et blanc ! Photographiez au format Raw, passez votre boitier en mode noir et blanc et sous-exposer pour bien visualiser le potentiel graphique de la scène. Vous pouvez aussi adopter la mesure spot et exposer pour les hautes lumières. Un avantage au format Raw : vous pourrez toujours choisir devant l’ordinateur la version qui vous plaît le plus !

Le noir et blanc a un autre avantage : il permet de simplifier vos images quand les couleurs sont trop envahissantes et concurrencent votre sujet.

Deux générations du village (Vernazza, Cinque Terre)

Suggérez, créez du mystère
Les ombres, les éléments suggérés ou en partie coupés, l’usage du hors champ, sont autant de techniques qui rendent une photo intrigante et sollicitent l’imaginaire du spectateur : la photo prend une dimension supplémentaire car le spectateur peut la prolonger selon son imaginaire.

Ombre projetée, sujet en partie coupé : deux façons de valoriser le graphisme d’un escalier en ajoutant un peu de mystère (Cinque Terre)

Une autre façon de suggérer un questionnement pour le spectateur: « pourquoi cette place est-elle vide ? Où sont partis les enfants qui y jouaient ? Que fait cette femme seule ?… » (Cinque Terre)

 

Isolez le sujet, saisissez l’instant
En photo de rue, rien de pire que des scènes confuses avec trop de personnages, sans action mise en valeur : l’intention du photographe est noyée, la photo ne désigne rien de particulier et devient banale.
Commencez par limiter le nombre de sujets pour donner plus de lisibilité à votre image. Prenez le temps d’observer la scène qui se déroule devant vous, les relations entre personnages : que font-ils ? Quel moment de cette scène aura le plus de sens pour vous comme pour le spectateur ? Suivez la scène et faites beaucoup de photos, vous sélectionnerez ensuite la plus forte.

Scène de jeu, Cinque Terre

Ici j’ai centré le grand-père, et attendu une interaction avec un enfant (Monterrosso, Cinque Terre)

 

Aller plus loin dans le jeu : comment suggérer une histoire en photo

Faire une photo, c’est poser un cadre sur le réel et y intégrer des éléments. Derrière cette banalité apparente se cache une des grandes forces de la photographie, décrite par Stephen Shore dans son essai « Leçon de photographie » : photographier, c’est créer des relations. Le simple fait d’aplatir le réel dans un cadre crée une mise en relation visuelle des éléments qui s’y trouvent, même sur des plans très éloignés dans la réalité. Dit autrement, votre cerveau crée des liens entre les éléments du cadre et cherche à donner un sens global à l’image.
Exploiter ce principe devient un puissant moteur de composition en photographie : les seules vraies limites sont votre regard et votre imagination !

La violoniste (Pienza, Toscane)

Un exemple : le cadrage de gauche de cette violoniste dans une rue de Pienza est juste descriptif et ne raconte rien de particulier. Une photo banale d’une scène banale. En arrière-plan, des passants se prenaient en photo sur fond de paysage toscan. Ces deux scènes n’avaient aucun lien dans la réalité, les passants ignorant la violoniste. Ce flot de touristes était plutôt gênant dans mon cadrage, j’essayais de les éliminer du cadre. A un moment pourtant, une femme s’est assise sur la balustrade pour se faire photographier par son ami. Sa posture était intéressante. J’ai alors modifié mon cadrage pour n‘intégrer que le violon en avant-plan, et la femme au second plan, qui devient le sujet de la photo. Pour le spectateur, ces deux éléments placés dans le cadre deviennent alors liés, et l’imaginaire donne à la scène un sens global : vous venez de suggérer une histoire.
Ainsi, cadrer, c’est créer des relations. C’est même davantage : c’est inventer des relations qui n’existent pas dans la réalité.

Laissez aller votre imaginaire et votre intuition ! (et bien sûr oubliez la règle des tiers, mais cela va sans dire !)

Cinque Terre                                                                                                                       Sienne, Toscane

Levanto (Cinque Terre)                                                                                                 Sienne (Toscane)

 

Les touristes sont aussi le sujet de l’histoire
Bien sûr nous fuyons la foule des touristes, cherchons les lieux et les heures calmes. Pourtant il peut être intéressant de prendre le contre-pied : pourquoi ne pas faire des touristes et du tourisme le sujet de vos photos ?

Les nouveaux contemplatifs – Cinque Terre

Cette photo est aussi sortie de mon imaginaire : je voulais évoquer l’agression du tourisme de masse qui traverse les lieux en s’arrêtant à peine pour un selfie sur fond exotique. Le téléphone portable et le selfie sont devenus les grands pollueurs du tourisme moderne, violent et ignorant des lieux et des gens alentour. J’ai alors installé mon trépied sur une place animée en plein milieu de journée, et déclenché à chaque fois que des touristes passaient en se prenant en photo mutuellement ou en selfie. J’ai ensuite fusionné les photos dans Photoshop en ne gardant que les personnages avec leur téléphone.

Je terminerai en citant Eliott Erwitt, photographe américain récemment disparu :

« Pour moi, la photographie est un art d’observation. Il s’agit de trouver quelque chose d’intéressant dans un endroit ordinaire… J’ai trouvé que cela n’a pas grand-chose à voir avec les choses que vous voyez et tout à voir avec la façon dont vous les voyez ». – Elliott Erwitt

Et bien sûr, rejoignez les départs d’Un Œil sur la Nature dans les Cinque Terre ou en Toscane, pour expérimenter la photo de rue et photographier autrement les villages des Cinque Terre et les merveilles de la Renaissance toscane !