photo de panthère des neiges chassant une pie, avec sa proie, un bharal, au Ladakh

Croiser le regard de la panthère des neiges

photo de panthère des neiges chassant une pie, avec sa proie, un bharal, au Ladakh

 

En janvier 2016, je m’envole vers une promesse, dans les lointaines montagnes du Ladakh, tout au nord de l’Inde. Quelques temps auparavant, je « tchatais » avec mon ami Tashi, un soir de novembre. Avait surgi cette idée folle à mes yeux : partir ensemble, en plein hiver, fouler les hautes vallées himalayennes et tenter de photographier la panthère des neiges. Je savais depuis longtemps que ce félin rarissime était présent dans cette région, mais le défi me semblait insurmontable, impossible. C’est Tashi, d’un optimisme inébranlable, qui m’avait convaincu que cette folie pouvait devenir réalité. Il m’assurait connaître les meilleurs experts locaux, qui sauraient nous guider dans notre quête.

À la sortie de l’avion, à peine le pied sur le tarmac de l’aéroport de Leh, l’air glacial et raréfié saisissait mon visage. Un plaisir immense m’emplissait : retrouver le Ladakh après 7 longues années ! Nous avions tous les deux besoin de nous acclimater durant quelques jours à l’altitude et au manque d’oxygène. Tashi en profitait pour rendre visite à sa famille, ses amis et collègues… Moi, je suivais, j’écoutais (ne comprenant que des bribes), j’observais et surtout j’espérais.

Finalement après quelques journées qui me semblèrent interminables, la vraie aventure commençait. Un véhicule nous déposait au bout d’une vallée, dans les contreforts nord du Zanskar, près d’une maison qui nous accueillerait pour la nuit. En soirée, nous étions rejoints  par Dorge Stanzin, que Tashi me présentait comme l’un des meilleurs « spotteurs » : les guides de terrain, qui, longue-vue vissée sur les yeux, étaient capables de débusquer la fantomatique panthère des neiges. À l’aube le lendemain, nous voilà à pied d’oeuvre, sur une crête au-dessus de la maisonnée. Quelques bharals, une sorte de mouflons, mais rien de plus. Après le petit-déjeuner, Tashi et Dorge décidaient de changer de coin et c’est à pied que nous arrivons dans l’après midi dans le secteur de Rumbak, la Mecque de la panthère des neiges au Ladakh. Durant 3 journées, nous avons parcouru en long, en large et en travers les différentes vallées de Rumbak, sans aucun signe de Shan, le terme ladakhi désignant la panthère des neiges comme un fantôme. Changement de plans, retour à Leh, demain, nous irons dans une vallée plus à l’est au-dessus de Stok.

Cette vallée, je la connaissais pour l’avoir parcouru en 2006, quand je l’avais remontée pour gravir le Stok Kangri, un imposant sommet d’un peu plus de 6000m. Une vallée magnifique, où les strates des anciens sédiments marins s’étaient redressées à la verticale, comme un immense millefeuille, pliées par les forces tectoniques de la surrection de l’Himalaya. Un beau décor, mais un véritable casse-tête pour espérer y trouver un animal aussi discret que la panthère des neiges. Trop de recoins, de cachettes. Il devait sûrement y en avoir une quelque part, qui nous avait probablement repérés, et qui dormait tranquillement en attendant le moment propice pour fondre sur un bharal, sa proie de prédilection. Toute la journée, nous avons scruté, inlassablement, en vain. Je commençais à perdre confiance… Un peu dépités, nous redescendons au crépuscule quand sur une couche de givre, nous tombons sur des traces toutes fraîches ! À peine avais-je le temps de faire quelques photos que le téléphone de Tashi recevait de multiples messages : une panthère avait prédaté un bharal du côté de Rumbak, il nous fallait retourner là-bas au plus vite ! C’est donc de nuit que nous sommes remontés dans ce petit village perché à 4000m, en prenant garde d’éteindre nos lampes frontales alors que nous passions non loin du secteur où la panthère avait été vue. La nuit fut courte, je ne trouvais pas le sommeil, j’étais trop impatient et je redoutais surtout que la panthère se soit fait chasser de son butin par quelques loups affamés.

Au petit matin, Avec Tashi, nous rejoignons Dorge qui nous avait précédé avec sa longue vue. À la vue de sa mine réjouie, je comprenais qu’elle était encore là. Je scrutais dans l’oculaire, qui visait un pierrier et je ne distinguais rien. C’est en me déplaçant un peu qu’enfin je discernais le pelage tacheté de la panthère des neiges, couchée derrière un gros bharal ensanglanté. Elle gardait jalousement sa proie, qu’elle avait commencé à consommer la veille. Il n’était pas question de s’approcher trop près et de risquer de la faire fuir. Je m’installais donc avec mes deux amis sur le versant d’en face. Bien qu’équipé de mon 500mm, la distance était considérable et la panthère était encore bien petite dans l’image. Après quelques photos, je montais un doubleur de focale, passant à 1000mm, perdant au passage un peu de qualité optique. Mais j’avais là un cadrage un peu plus satisfaisant… Encore quelques photos et je me rendais compte que j’allais avoir des dizaines d’images d’une panthère dormant derrière une carcasse… Il fallait patienter et espérer que quelques chose se passe. Vers midi, un jeune du village nous apportait une gamelle isotherme de riz. Un plat chaud, quel luxe! Alors que je dégustais ce riz épicé, la pie qui tournait autour de nous depuis un moment changea de versant pour rejoindre celui de la panthère. Je pressentais qu’il allait enfin, peut-être se passer quelque chose. Doucement, par petits bonds, la pie approchait de la carcasse du bharal, espérant sans doute chiper un petit bout de viande. Aussitôt, la panthère eut tous ses sens en éveil. Tel un gros chat, son interminable queue ondulait à mesure que l’impatience et l’excitation gagnait le félin. Un sautillement de plus de la pie, et la panthère bondit par-dessus le bharal pour faire envoler l’intruse. Le temps pour moi de déclencher une rafale de 3 photos, immortalisant cette scène en pleine action! Presque aussi vite, la panthère alla reprendre sa sieste pour le reste de la journée.

Notre voyage arrivait à sa fin et nous abandonnions cet animal mythique à sa tranquillité pour rejoindre Leh, puis l’Europe, avec cette satisfaction immense d’avoir réussi ce qui me semblait impossible. J’ai depuis guidé 4 voyages photo au Ladakh et si à chaque fois nous avons pu faire de très belles observations, nous n’avons pas systématiquement pu réaliser de bonnes images de panthère des neiges. Peu importe, il y a quantité d’autres espèces animales intéressantes dans les parages, les paysages sont toujours aussi magnifiques et l’accueil des familles ladakhies est une expérience unique !

Sylvain Dussans

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